L’armée irakienne a déclaré que les troupes étrangères n’étaient plus nécessaires en Irak. Or, Washington ne l’entend pas de cette oreille. La lutte contre Daech est une réalité qui lui sert de prétexte pour maintenir des forces et contenir l’influence des milices inféodées à l’Iran, estime Adel Bakawan, directeur de recherche de l’iReMMO.
Et si les Irakiens cherchaient à s’émanciper de la présence militaire américaine?
Une chose est sûre, l’armée irakienne a fait savoir le samedi 24 avril dernier qu’elle n’avait plus besoin de troupes étrangères ou américaines pour combattre à leurs côtés. À ce propos, Yahya Rasool, général de brigade et porte-parole de l’armée irakienne, a déclaré dans un communiqué officiel que «l’Irak n’a besoin d’aucun soldat américain ou étranger pour combattre aux côtés des forces irakiennes, et n’a pas besoin de combattants sur le terrain à l’exception des forces irakiennes.»
Un retrait qui ne pourra toutefois être acté qu’avec l’accord de Washington. Or, un haut gradé du Centcom américain, département des opérations militaires des États-Unis au Moyen-Orient et en Asie, a affirmé que le départ complet des forces américaines d’Irak n’était pas à l’ordre du jour.
Pourtant, les désirs d’indépendance ne font guère l’unanimité au sein même du pouvoir irakien. Cette déclaration ne représenterait aucunement les intentions de Bagdad, selon Abel Bakawan, directeur du département recherche de l’institut de Recherche et d’Études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).
«Rien n’est officiel en Irak. Il y a plusieurs centres de pouvoir au sein de l’armée, au sein du gouvernement. Donc ce communiqué n’engage en rien le gouvernement irakien. Bagdad n’a aucune envie, aucune volonté de demander le départ des troupes américaines et n’est pas du tout en mesure de le faire», précise-t-il au micro de Sputnik.
Pourtant, ce n’est pas la première fois que le retrait des troupes américaines est sur la table. Au lendemain de l’assassinat le 3 janvier 2020 à Bagdad du général iranien Qassem Soleimani et d’Abou Mahdi el Mouhandes, le numéro 2 de la milice chiite des Hachd el Chaabi, tués par un drone américain, les députés irakiens avaient voté en faveur d’un départ des troupes américaines d’Irak. Face à la pression des milices et face à la montée d’un sentiment antiaméricain, Donald Trump avait décidé en septembre dernier de réduire les effectifs, passant de 5.200 militaires à 3.000. Pourtant, malgré la réduction de ses forces en présence, Washington conserve des objectifs bien précis en Irak.
Daech est encore présent en Irak
En effet, la lutte contre l’État islamique permet à l’administration américaine de continuer de justifier officiellement sa présence sur le sol irakien. «L’État islamique a le contrôle des montagnes et des déserts en Irak», nous explique Abel Bakawan. Malgré sa défaite territoriale, l’organisation terroriste reste présente en Irak. En janvier dernier, Daech revendiquait un attentat à Bagdad faisant 32 morts.
«Washington est plus que jamais nécessaire pour annihiler définitivement la menace djihadiste», estime notre interlocuteur.
«Si les États-Unis décidaient de quitter le pays, le gouvernement irakien déploierait tous les moyens nécessaires pour convaincre Washington de rester. Bagdad sait parfaitement que sans l’appui, sans l’accompagnement des forces américaines, il ne pourra jamais, sur le moyen terme ou sur le long terme, vaincre l’État islamique» souligne-t-il.
Et pour cause: «99% des forces irakiennes sont prises en charge par les États-Unis», ajoute Adel Bakawan. Cette dépendance militaire permet donc à Washington de justifier sa présence, mais, aussi, à contenir l’influence iranienne en Irak: «les Américains ne s’en cachent pas, ils ne veulent pas laisser l’Irak aux Iraniens», souligne le spécialiste du Moyen-Orient.
«Depuis 2019, c’est le chaos en Irak»
Depuis l’intervention américaine et la chute de Saddam Hussein en 2003, l’Irak est devenu le théâtre d’une confrontation entre Washington et Téhéran. L’Iran s’appuie sur la majorité confessionnelle chiite pour étendre son influence par l’intermédiaire de puissantes milices. Or, depuis l’avènement de l’État islamique* en 2014, les Iraniens et les Américains ont dû mettre de côté leurs divergences pour lutter contre un ennemi commun. «Entre 2003 et 2019, il y avait une sorte de cogestion entre les deux pays», résume Abel Bakawan. 2019 a ensuite marqué un deuxième tournant. Depuis la défaite territoriale de Daech, les deux adversaires se font ouvertement face. Après 2019, Donald Trump était dans une logique plus frontale à l’égard de l’Iran: «on était passé de la concorde à la discorde», commente notre interlocuteur. Désormais, les milices chiites lancent des roquettes sur les bases d’Aïn el Assad, d’Erbil ou encore à proximité de la zone verte à Bagdad. De son côté, Washington réplique en ciblant par drones les positions des milices chiites en Irak et en Syrie.
«Depuis 2019, c’est le chaos en Irak. Or, avec Biden, il y a une forte chance de voir un retour à la cogestion des affaires irakiennes. L’Iran est là pour contenir les États-Unis […] qui eux sont là pour contenir l’Iran», précise le directeur de recherche de l’iReMMO.
Un jeu complexe. Washington aurait réussi à rendre sa présence indispensable pour tous les acteurs présents sur le sol irakien, «même les milices chiites ont besoin des Américains pour lutter contre l’État islamique», conclut Abel Bakawan. En filigrane, cette situation entraînerait un statut-quo sans vainqueur ni perdant.
Source: Sputnik