Riyad aurait fait part de son intérêt pour le chasseur russe Su-35. Par ailleurs, le Royaume continuerait de négocier l’achat de système antimissile S-400. Sincère intérêt des Saoudiens, à la recherche d’une alternative aux équipements US, au risque de s’exposer à des sanctions, ou chantage à destination de l’Administration Biden?
Fin février, le président de Rostec, Sergueï Tchemezov, confiait à RT que des négociations portant sur l’acquisition par Riyad de chasseurs Su-35 seraient en cours. D’après la presse spécialisée, la première raison de ce soudain regain d’intérêt de l’allié historique de Washington pour du matériel militaire russe serait le discours de Joe Biden à l’égard de Riyad.
Durant sa campagne présidentielle, le candidat Démocrate avait multiplié les piques à l’encontre du royaume wahhabite, allant jusqu’à le qualifier d’État «paria» lors d’un débat en novembre 2019. En octobre dernier, Biden assurait encore compter revoir la relation américano-saoudienne s’il était élu. Le 28 janvier, dix jours après son investiture, le 47e Président des États-Unis gelait les livraisons d’armes à la coalition menée au Yémen par l’Arabie saoudite. Un conflit qui, selon l’Onu, a provoqué la «pire crise humanitaire au monde». Riyad se retrouvait alors «temporairement» privée de bombes guidées.
Il faut dire que la multiplication de publications d’ONG sur l’utilisation de ces armes américaines pour «tuer et mutiler» des enfants au Yémen commençait à médiatiquement faire tache.
Contrats d’armement, armes de pression
La perspective de déclassification d’un rapport de la CIA sur la responsabilité des autorités saoudiennes dans la mort du journaliste et activiste Jamal Kashoggi au consulat d’Istanbul en octobre 2018, aurait également contribué à jeter Riyad dans les bras de Moscou. Comble de l’humiliation pour le prince héritier Mohammed ben Salmane (dit «MBS»), Joe Biden aurait préféré traiter avec son père, le roi Salmane ben Abdelaziz al-Saoud.
Le prince héritier Mohammed bin Salman assiste à une réunion avec le président russe Vladimir Poutine au palais royal saoudien à Riyad, en Arabie Saoudite.
Pourtant, force est de constater qu’à la suite de la publication du document de l’Agence centrale du renseignement, aucune sanction n’a été prise à l’encontre de MBS, témoignant de la volonté des États-Unis de ménager leur allié historique dans la région.
Par ailleurs, cet intérêt saoudien pour de l’équipement militaire russe n’est en rien une première. Lors de sa visite à Moscou en octobre 2017, sur fond de dégel entre Washington et Téhéran, le roi Salmane avait signé une lettre d’intention concernant un contrat qui portait sur la fourniture à son Royaume de S-400, de lance-roquettes multiples TOS-1A pouvant tirer des missiles incendiaires et thermobariques, de lance-missiles antichar Kornet-EM system, de lance-grenades automatiques AGS-30 ainsi que de fusils d’assaut AK-103.
Un an plus tard, face au risque d’une concrétisation de ce contrat avec la Russie, l’administration Trump validait la vente des systèmes antimissiles THAAD à Riyad pour la rondelette somme de 15 milliards de dollars.
Riyad à la recherche de plus d’indépendance
Cependant, le matériel made in US vendu aux Saoudiens a peu brillé. En septembre 2019, lors de l’attaque de drones sur des installations saoudiennes dans le nord-est du royaume, les batteries Patriot affectées à la défense antiaérienne de ces sites se sont avérées impuissantes. L’inefficacité du système américain s’est traduite par l’incapacité d’opérer à 360 degrés et encore moins de détecter les aéronefs yéménites volant à basse altitude. Un événement qui a poussé Vladimir Poutine à proposer à Riyad d’acheter des S-300 ou des S-400.
Dans la foulée, les médias américains volèrent au secours des batteries Patriot, estimant que le système russe n’aurait jamais été testé en conditions réelles et que donc rien ne prouvait qu’il aurait pu contrer l’attaque de drones. C’est oublier que durant les frappes menées par les Américains, Britanniques et Français contre la Syrie en avril 2018, les S-400 déployés sur le sol de la République arabe auraient, selon la Défense russe, intercepté 71 missiles sur 103. Un succès que ne reconnaissent pas les chancelleries occidentales et leurs médias, qui le relèguent au rang d’«intox».
La menace de sanctions US plane sur les négociations
Par ailleurs, l’achat de matériel militaire russe tombe sous le coup de l’extraterritorialité du droit américain. Votée par le Congrès en 2017, la loi CAATSA (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act, qui vise littéralement à «contrer les adversaires de l’Amérique à travers les sanctions») punit tout pays client de l’industrie de Défense russe. Cela a notamment été le cas de la Turquie, qui a récemment subi les foudres de Washington non pas pour son attitude en Méditerranée orientale à l’encontre des Européens, mais pour avoir acheté des S-400.
Ce risque plane également au-dessus de l’Égypte, qui aurait acheté deux escadrons de Su-35 à la Russie, pour deux milliards de dollars. Des fuites dans la presse russe concernant ce contrat négocié dans la plus grande discrétion ont valu au ministre égyptien des Affaires étrangères un appel du secrétaire d’État Antony Blinken le 23 février.
Qu’en sera-t-il pour l’Arabie saoudite, dont les forces aériennes ont pour l’heure toujours été exclusivement dotées d’appareils américains ou britanniques? Une chose est sûre, le Royaume espère localiser la moitié de ses dépenses militaires à l’horizon 2030. Mais Washington risque de recourir à un degré de pression d’une rare intensité afin de faire capoter ce contrat. Riyad tente-t-il simplement par cette manœuvre d’infléchir la position de son fournisseur historique d’armements?
Source: Sputnik