Classés « groupe terroriste » par les Etats-Unis, le mouvement de résistance yéménite Ansarullah s’en sont pris lundi à l’administration sortante de Donald Trump dont la décision fait craindre aux organisations internationales une aggravation de la crise humanitaire dans le pays exposé à une guerre meurtrière dirigée par l’Arabie saoudite, depuis mars 2015.
Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a annoncé dimanche, à dix jours de la fin du mandat de M. Trump, que le mouvement Ansarullah va être inscrit sur la liste des groupes « terroristes » ainsi que trois de leurs chefs, dont leur dirigeant Abdel Malek al-Houthi rapporte l’AFP.
« Nous condamnons cet acte et nous nous réservons le droit d’y répondre », a tweeté Mohamed Ali al-Houthi, un responsable d’Ansarullah.
« Le peuple yéménite n’a que faire de toute désignation de l’administration Trump du moment qu’elle est complice dans le meurtre de Yéménites ».
Ansarullah prendra les mêmes mesures de rétorsion
Le porte-parole d’Ansarullah et chef de l’équipe négociatrice de ce mouvement de résistance yéménite a affirmé que « si les États-Unis ne reviennent pas sur cette décision, le mouvement Ansarullah prendra les mêmes mesures de rétorsion ».
Dans une interview accordée à l’édition arabe de l’agence de presse russe Sputnik, Mohammad Abdel Salam, a indiqué que « Cette prise de position des États-Unis n’a dans les faits rien de nouveau, car ils ont commis les crimes les plus abominables au Yémen et adopté les sanctions économiques et inhumaines les plus dures contre le peuple yéménite. Ils se sont engagés dans une intervention militaire contre notre pays et ont offert un appui tous azimuts aux agresseurs. »
« L’absence d’une révision sérieuse côté américain sur cette décision nous obligera à prendre des mesures de représailles identiques envers les États-Unis sur beaucoup d’autres dossiers », a-t-il précisé. « Nous croyons que l’administration Trump se trouve actuellement dans un état de confusion apparente, et que ses décisions représentent désormais des partis pris de dernière minute en faveur de certaines parties », a affirmé Abdessalam, notant que « l’administration Trump a jusqu’ici échoué dans tous les dossiers régionaux, ayant renforcé un sentiment de mécontentement contre elle-même et contre ses principaux alliés, dont l’Arabie saoudite et Israël ».
Des répercussions humanitaires
Le royaume saoudien s’est félicité d’une décision allant « dans le sens des appels du gouvernement (pro-saoudien, basé au sud) à mettre fin aux activités » d’Ansarullah.
Des organisations internationales redoutaient que M. Trump ne cherche à frapper un grand coup diplomatique contre l’Iran avant l’arrivée à la Maison Blanche de Joe Biden, qui souhaite renouer le dialogue avec Téhéran.
L’ONU estime que la décision américaine « est susceptible d’avoir de graves répercussions humanitaires et politiques », selon Stéphane Dujarric, son porte-parole.
« Nous craignons que la désignation ait un impact négatif (sur) les importations de denrées alimentaires et d’autres produits essentiels au moment même où davantage de Yéménites meurent de faim », a-t-il dit.
Dans une déclaration à la virulence rare à l’égard des Etats-Unis, il a aussi affirmé la peur de l’ONU d’un « effet préjudiciable sur les efforts visant à reprendre le processus politique au Yémen et polariser encore plus les positions des parties au conflit ».
L’Iran et le Hezbollah condamnent la décision US
L’Iran a condamné la décision américaine, jugeant que la liste noire était « un processus qui a perdu sa crédibilité ».
Le Hezbollah l’a également « condamnée fermement », la qualifiant de « criminelle ». « La décision américaine est une mesure criminelle visant à saper le moral du peuple yéménite ainsi que de leurs dirigeants, et à soutenir le blocus et l’agression (contre le Yémen). »
Et d’ajouter : « Les mesures américaines visent à punir quiconque rejette l’hégémonie américaine sur la volonté des peuples libres de notre région, rejette l’occupation sioniste de la Palestine ou l’engagement dans le processus malheureux de normalisation. »
Le Hezbollah a souligné que « le mouvement Ansarullah qui a porté la bannière de la défense du peuple yéménite opprimé pendant des années et a résisté face à l’agression, s’attachera de plus après cette décision à son droit légitime de défendre le peuple yéménite, sa chère terre, ses ressources et ses options nationales ».
Pompeo a expliqué qu’il notifierait le Congrès de cette décision. Quelques heures plus tard, des élus américains ont appelé Joe Biden à révoquer la sanction.
A moins que le Congrès ne les bloque, les sanctions anti-Ansarullah doivent entrer en vigueur le 19 janvier, soit la veille de l’entrée en fonctions du démocrate.
Condamnation à mort pour des milliers de Yéménites
Le sénateur démocrate Chris Murphy a dénoncé « une condamnation à mort pour des milliers de Yéménites », une décision qui « va entraver l’aide humanitaire, rendre des pourparlers de paix quasiment impossibles et renforcer l’Iran ».
Un appel similaire est venu du sénateur républicain Todd Young qui a, comme de nombreux élus américains, exhorté M. Pompeo à ne pas passer à l’acte alors que le pays le plus pauvre de la péninsule arabique, où 80 % de la population dépend des aides, est en proie à la pire crise humanitaire actuellement au monde selon l’ONU.
La guerre saoudienne contre le Yémen a fait des dizaines de milliers de morts et causé la pire crise humanitaire au monde, selon des ONG internationales.
L’armée yéménite et Ansarullah font face depuis 2015 contre les tentatives de l’Arabie et de leurs mercenaires de s’emparer du Yémen.
« Les civils paieront le prix »
A Sanaa, le Yéménite Ahmed Sinan craint que les civils ne « paient le prix » de la décision américaine et que « les organisations humanitaires cessent leur travail ».
« Le gouvernement américain doit s’assurer que les sanctions n’empêchent pas l’entrée de nourriture, de carburant et de médicaments », a déclaré Mohamed Abdi, directeur au Yémen du Conseil norvégien des réfugiés.
Le président du Comité international de secours David Miliband a qualifié la décision américaine de « vandalisme diplomatique », appelant « au contraire (à) faire pression sur toutes les parties pour qu’elles cessent de prendre les civils en otage ».
Pour Save the Children, des milliers d’enfants seront davantage exposés au risque de famine et de maladie et la décision des Etats-Unis pourrait « ajouter des obstacles à la réponse humanitaire et entraver les efforts pour mettre fin au conflit ».
La décision de l’administration Trump « risque de punir collectivement tous les Yéménites, en précipitant une famine, tout en faisant peu de mal aux Houthis (Ansarullah), si ce n’est de les pousser plus près de l’Iran », souligne Peter Salisbury de l’International Crisis Group.
Sources: AlMasirah + PressTV + AFP