Si la cible n’est pas explicitement énoncée, la Chine est bien au cœur des préoccupations stratégiques qui ont conduit la signature de l’accord militaire signé le 17 novembre entre le Japon et l’Australie. Une stratégie d’endiguement soutenue par les États-Unis, qui se comprend à l’échelle régionale. Explications.
« L’importance du RAA [Reciprocal Access Agreement, ndlr] ne doit pas être sous-estimée. Il constituera un élément clé de la réponse de l’Australie et du Japon à un environnement sécuritaire de plus en plus délicat dans notre région, dans des circonstances stratégiques plus incertaines. »
La Chine n’a pas été mentionnée, mais elle est clairement visée dans le communiqué de Scott Morrison, Premier ministre australien, publié à l’occasion de la signature le 17 novembre du partenariat de coopération militaire entre Canberra et Tokyo.
Un «traité de Défense historique» qui renforce les liens militaires entre ces deux États, alliés proches des États-Unis, qui permettra notamment aux deux forces armées de mener des manœuvres conjointes. Le document évoque également les inquiétudes bilatérales quant à la situation en Mer de Chine du Sud, confirmant «leur forte opposition à toute tentative coercitive ou unilatérale de modifier le statu quo, ce qui augmenterait les tensions dans la région.» Message reçu par Pékin, qui a répliqué que la coopération entre différents pays «ne devrait pas viser un pays tiers ni menacer les intérêts de ce pays tiers.»
Tokyo s’arme davantage
Interrogé par Sputnik, Eugène Berg, ancien ambassadeur de France aux îles Fidji et bon connaisseur du Pacifique, confirme. Avec cet accord de défense australo-nippon, la Chine est une nouvelle fois dans le collimateur de ses voisins asiatiques et du Pacifique et non, sans raison:
«La Chine a mis la main sur Hong Kong, elle est offensive vis-à-vis de Taïwan, si elle va plus loin vers Taïwan et la mer de Chine du sud, ça peut provoquer. Pour l’instant, les gens s’observent et comptent.»
Une attitude qui inquiète ses rivaux régionaux. Le RAA a été implicitement signé en réaction au «développement de l’influence chinoise» en Asie du Sud-Est, en mer de Chine orientale, ou contre d’autres menaces telles que «l’espionnage économique, comme l’Australie s’en est plainte», selon l’analyste Bastien Vandendyck, spécialiste de la géopolitique du Pacifique. Il souligne la dimension historique de ce partenariat: «c’est le premier accord qui permet le stationnement de forces armées au Japon depuis 1960. Jusqu’à présent, il n’y avait que les États-Unis qui en avaient le droit». Eugène Berg observe ainsi la volonté de Tokyo de monter en puissance, avec l’augmentation de «son budget militaire de 10%».
«Les manœuvres provocatrices et conflictuelles de l’Australie, mais également ses paroles et ses actes incorrects sur des questions concernant les intérêts et préoccupations majeurs de la Chine expliquent les difficultés actuelles des relations sino-australiennes. L’Australie doit corriger ses erreurs en prenant des mesures concrètes.»
Comme l’illustre cette déclaration de Lijian Zhao, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, la tension sino-australienne est à son comble. Une liste de 14 griefs chinois à l’encontre de Canberra a fuité le 19 novembre, accusant notamment l’Australie de «se ranger du côté des États-Unis» dans l’actuel affrontement sino-américain. Cette citation d’un officiel mentionnée dans le rapport en dit long: «La Chine est en colère. Si vous faites de la Chine l’ennemie, la Chine sera l’ennemie.»
Reprochant à Canberra d’avoir soutenu en avril la mise en place d’une enquête internationale sur l’origine du coronavirus, Pékin lui a imposé des sanctions commerciales sur le bœuf, l’orge et le bois: «la Chine n’est évidemment pas contente, parce qu’elle est pointée du doigt», explique Eugène Berg. Début novembre, la marine australienne a participé pour la première fois à d’importantes manœuvres navales communes dans le golfe du Bengale, dans le cadre du Quad (Quadrilateral security dialogue) avec ses homologues indienne, japonaise et américaine. Des exercices militaires qui visent directement à contrer l’influence de la Chine dans la région.
«Endiguement» stratégique, mais rapprochement économique
À l’instar de la guerre froide, Eugène Berg considère alors qu’«il y a manifestement un endiguement vis-à-vis de la Chine», évoquant même un encerclement géographique de Pékin, partant de Corée du Sud jusqu’en Inde, en passant par le Pacifique et le Vietnam. Une Otan asiatique? S’il mentionne cette vieille idée américaine, l’ancien diplomate estime que la mode n’est plus aux alliances et rejette le scénario d’un traité général du même acabit que le traité de l’Atlantique Nord.
Plus étonnant, l’hallali stratégique contre la Chine qui semble être en vogue ne contredit pas le RCEP (Partenariat régional économique global), traité de libre-échange géant signé le 15 novembre par quinze pays d’Asie et du Pacifique, dont l’Australie, le Japon et… la Chine. Loin d’être paradoxaux, ces deux accords signés à deux jours d’intervalle illustrent la montée en puissance de l’Asie, selon Bastien Vandendyck.
«Cet accord doit être pris comme la structuration économique asiatique à l’heure du XXIe siècle et qui débute une ère de relations internationales qui sera l’ère de la supériorité asiatique. La signature du rapprochement entre le Japon et l’Australie s’inscrit dans une dynamique débutée depuis les années 90 et qui va en se renforçant, c’est-à-dire d’essayer par tous les moyens d’endiguer le développement de la Chine. Ce sont deux dynamiques qui se rencontrent, mais qui ne s’opposent pas.»
Source: Sputnik