A peine assis sur son fauteuil d’un autre siècle, dans le clair-obscur de son château surplombant Naplouse, en Cisjordanie occupée, le milliardaire palestinien Mounib al-Masri interroge le journaliste de passage: « Pouvez-vous me citer les 58 mots de la déclaration de Balfour? »
Et le reporter, rébarbatif, de s’exécuter: « La déclaration de Balfour de 1917 dit à peu de choses près que le gouvernement britannique envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif ».
« Mais vous avez oublié l’essentiel », rétorque l’homme de 86 ans à la barbe blanche ébouriffée, dans le salon de son manoir baptisé « Bait al-Falestine », la « maison de la Palestine », dominant les collines de sa ville d’origine Naplouse.
La déclaration « dit que +Rien ne peut porter atteinte aux droits civiques et religieux des collectivités non juives en Palestine+ », enchaîne l’homme d’affaires, engagé pour la cause palestinienne depuis plus d’un demi-siècle.
« Cela voudrait dire que nous n’avons pas de droits politiques, que nous ne sommes que des +collectivités non juives+ en Palestine. De quel droit les Britanniques ont-ils pu donner ce qui ne leur appartenait pas? », s’insurge-t-il, à propos de cette déclaration considérée comme un jalon important ayant favorisé la création d’Israël en 1948.
M. Masri trône au sommet d’un empire familial, le conglomérat Edgo, actif dans les services aux entreprises pétrolières du Golfe.
L’industriel a également cofondé la holding « Palestine Development and Investment Co » (Padico), spécialisée dans le développement des infrastructures palestiniennes et aux ramifications multiples dans les télécoms et la finance. Un géant dirigé aujourd’hui par son neveu Bachar.
Père de six enfants, M. Masri –qui avait quitté la Palestine à 18 ans pour étudier la géologie aux Etats-Unis– vit désormais seul dans son château.
Obsession
Au centre de la demeure, un marbre d’Hercule. Dans un salon, une statue babylonienne. Au sous-sol, un mini-musée de la « mémoire palestinienne » où l’homme d’affaires apparaît sur des fresques peintes de la « Nakba » (« Catastrophe » en arabe), terme utilisé par les Palestiniens pour décrire l’usurpation de la Palestine et l’implantation d’Israël, et la « Naksa » (« Rechute »), défaite arabe lors de la guerre des Six-Jours (1967).
Sur les murs se déclinent des photos de l’homme à la silhouette en aiguille et aux yeux azurs, aux côtés du démocrate américain Joe Biden, de Nelson Mandela ou de Yasser Arafat, leader historique de la cause palestinienne dont il était l’ami et qu’il dit avoir exfiltré en 1970 de Jordanie à la Syrie dans le coffre de sa voiture…
Milliardaire selon la presse arabe –un magazine spécialisé évaluait sa fortune à 1,6 milliard de dollars en 2006–, le magnat n’a jamais été loin de la politique, étant dans sa jeunesse ministre en Jordanie, puis ministre palestinien.
L’octogénaire, qui aurait refusé plusieurs fois d’être nommé Premier ministre de l’Autorité palestinienne mais qui a conservé un siège au Conseil législatif palestinien, reste obsédé par la déclaration Balfour.
« Je me souviens du jour où le professeur nous a parlé de la déclaration Balfour et de sa signification. J’avais huit ans. Il l’a lue et l’a mise dans ma tête. Depuis ce jour, je suis en colère. »
« Pire » période
« Aujourd’hui, c’est le pire période de l’histoire palestinienne (…), nous vivons dans une grande prison », clame-t-il en évoquant, outre l’occupation israélienne de la Cisjordanie depuis 1967, la normalisation récente des relations entre Israël et plusieurs pays arabes de la région, les divisions inter palestiniennes, et l’absence de « volonté des Israéliens de partager le gâteau » de la terre.
M. Masri rêve d’une réconciliation entre le Fatah laïque de Mahmoud Abbas et le mouvement islamique du Hamas pour redonner une voix unie aux Palestiniens.
Il écrit, sans grand espoir, des lettres au président américain Donald Trump pour s’opposer à son plan pour le Moyen-Orient et plaider pour une solution à deux Etats, et voit a contrario le président français Emmanuel Macron en faiseur de paix israélo-palestinienne.
Il est descendu de ses collines le 22 octobre pour tenter de triompher de l’histoire. Il a déposé avec des ONG locales une plainte symbolique devant un tribunal palestinien, réclamant au Royaume-Uni d’indemniser les Palestiniens des « torts » infligés par Lord Balfour, ancien chef de la diplomatie britannique dont la déclaration a si longtemps hanté ses nuits.
Source: Avec AFP