L’étroite relation des monarchies espagnole et saoudienne facilitera-t-elle la conclusion d’un juteux contrat de vente de corvettes à Ryad? Cette probabilité provoque l’ire d’ONG dénonçant l’implication de l’Arabie dans des crimes de guerre au Yémen.
Felipe VI, 48 ans, entame samedi à Ryad une visite officielle de trois jours, à l’invitation du roi Salmane, 80 ans.
Et toute la presse espagnole a déjà fait le lien avec une très attendue vente de corvettes de type Avante 2200, pour au moins 2 milliards d’euros.
« Nous pouvons seulement confirmer que la négociation est très avancée pour la construction de cinq navires de guerre qui seraient vendus à la Marine saoudienne », dit à l’AFP un porte-parole de l’entreprise publique de construction navale Navantia.
Septième pays exportant le plus d’armes conventionnelles, l’Espagne a vu ses ventes à l’étranger augmenter de 55% entre 2006-2010 et 2011-2015, selon le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip) basé à Bruxelles.
Et elle vend de plus en plus à l’Arabie, championne du monde des dépenses militaires par habitant.
Juan Carlos 1er, l’ami des Saoud
Le père de Felipe VI, Juan Carlos 1er, au pouvoir de 1975 à 2014, « avait et a toujours une relation personnelle exceptionnelle avec la famille royale saoudienne, ce qui a beaucoup favorisé les liens économiques », rappelle la journaliste Ana Romero, auteure d’un livre sur la fin de son règne.
Il fut le « grand ami » du défunt roi Fahd, qui régna de 1982 à 2005 sur l’Arabie saoudite – première puissance pétrolière et Etat théocratique reposant sur une monarchie wahhabite absolue – et reste aujourd’hui proche de son frère, le roi Salmane.
C’est Fahd qui offrit à Juan Carlos son premier yacht et tous deux se retrouvaient fréquemment, en privé, en France ou dans le somptueux palais du Saoudien à Marbella – station balnéaire espagnole aujourd’hui encore prisée des Saoud – où Fahd et sa suite dépensèrent 72 millions en un seul séjour en 1999.
En 2013, Juan Carlos fut crédité d’un rôle décisif dans l’attribution à un consortium espagnol d’un contrat à 6,7 milliards d’euros, pour faire circuler des TGV en plein désert saoudien, jusqu’à la Mecque.
Il fut aussi qualifié en 2015 de « plus grand vendeur d’armes d’Espagne » par l’économiste et militant des droits de l’homme Arcadi Oliveres, qui avait analysé ses voyages.
« Planait toujours le soupçon que Juan Carlos était un grand lobbyiste non seulement pour l’Espagne mais aussi pour favoriser ses amis, des entrepreneurs proches et peut-être lui-même », explique Ana Romero.
Mais « tout est différent avec Felipe VI: personne ne pense qu’il puisse faire quelque chose comme ça, les entrepreneurs espagnols ne voyagent plus avec lui et ses voyages sont beaucoup plus contrôlés par l’Etat ».
‘Du travail pour dix ans’
Reste que l’Espagne entend continuer à profiter des « relations personnelles entre familles régnantes », récemment vantées par le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy.
« Une frégate de dernière génération peut coûter 700 à 800 millions d’euros et si l’on parle de cinq, cela donnerait du travail pour dix ans » aux chantiers navals en Galice (nord-ouest) et Andalousie (sud), dit à l’AFP un syndicaliste du secteur naval, Ramon Sarmiento, des Commissions ouvrières.
Selon le site d’informations Infodefensa, le contrat pourrait générer « quelques 2.000 emplois directs ».
Mais la prudence reste de mise car les caisses de la monarchie pétrolière sont moins pleines depuis la chute des cours du brut. Et la concurrence est vive.
La France espère notamment vendre à Ryad un autre type de corvettes, pour sa flotte de la Mer rouge, assure une source au sein de la DCNS, groupe français d’industrie navale militaire.
Quel que soit le vendeur, « la question est: ce contrat est-il légal ou illégal? Or il est clairement illégal », assure Alberto Estevez, expert en vente d’armes pour Amnesty international Espagne.
Selon le traité des Nations unies sur le commerce des armes de 2013, aucun Etat ne doit vendre des armes s’il sait qu’elles peuvent servir à des attaques dirigées contre les civils ou d’autres crimes de guerre.
Bombardements et crimes de guerre
Or l’Arabie mène depuis mars 2015 au Yémen une intervention très meurtrière, à la tête d’une coalition de pays arabes soutenant le président démissionnaire Abd Mansour Hadi et combattant l’armée yéménite et les forces populaires d’Ansarullah.
Un collectif d’ONG en Espagne – dont Amnesty, Oxfam et Greenpeace – dénonce des dizaines de crimes de guerre attribués à la coalition, tels les bombardements d’hôpitaux ou d’écoles ou encore en octobre, d’une cérémonie funéraire où 140 personnes furent tuées.
Or les corvettes en question « ne servent pas seulement à patrouiller mais sont des navires de guerre à part entière, qui peuvent servir au blocus des ports du Yémen voire à bombarder depuis la côte », insiste, à Barcelone, le chercheur Jordi Calvo, du Centre d’études pour la paix.
Avec AFP