Le président français Emmanuel Macron dénonce « la mort cérébrale de l’Otan », dans un entretien publié jeudi, déplorant le manque de coordination entre les Etats-Unis et l’Europe et le comportement unilatéral de la Turquie en Syrie, membre de l’Alliance atlantique.
« Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’Otan », a déclaré le chef de l’Etat français dans une interview à l’hebdomadaire The Economist à paraître vendredi.
« Vous n’avez aucune coordination de la décision stratégique des États-Unis avec les partenaires de l’Otan et nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’Otan, la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination », a-t-il souligné, en référence à l’intervention militaire turque en Syrie. « Ce qui s’est passé est un énorme problème pour l’Otan ».
Il faut « clarifier maintenant quelles sont les finalités stratégiques de l’Otan », a-t-il ajouté en plaidant à nouveau pour « muscler » l’Europe de la défense, à un mois d’un sommet de l’Otan prévu à Londres début décembre.
Le chef de l’Etat français s’interroge en particulier sur l’avenir de l’Article 5 du traité atlantique, qui prévoit une solidarité militaire entre membres de l’Alliance si l’un d’entre eux est attaqué.
« C’est quoi l’Article 5 demain ? Si le régime de Bachar al-Assad décide de répliquer à la Turquie, est-ce que nous allons nous engager ? C’est une vraie question », estime Emmanuel Macron.
« Nous nous sommes engagés pour lutter contre Daech (acronyme de l’organisation Etat islamique). Le paradoxe, c’est que la décision américaine (de retrait du nord de la Syrie) et l’offensive turque dans les deux cas ont un même résultat: le sacrifice de nos partenaires sur le terrain qui se sont battus contre Daech, les Forces démocratiques syriennes (FDS) », alliées de la coalition internationale conduite par les Etats-Unis pour combattre l’EI, regrette-t-il.
L’UE au ‘bord du précipice’
« L’OTAN en tant que système ne régule pas ses membres. Et à partir du moment où un membre sent qu’il a le droit de suivre son chemin, qui est donné par les Etats-Unis d’Amérique, il le fait. Et c’est ce qui s’est passé », déplore Emmanuel Macron.
Cela rend pour le président français d’autant plus « essentiel d’une part, l’Europe de la défense — une Europe qui doit se doter d’une autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire. Et d’autre part, de rouvrir un dialogue stratégique, sans naïveté aucune et qui prendra du temps, avec la Russie ».
Le chef de l’Etat en profite pour pointer trois grands risques pour l’Europe: qu’elle ait « oublié qu’elle était une communauté », le « désalignement » de la politique américaine du projet européen, et l’émergence de la puissance chinoise « qui marginalise clairement l’Europe. »
« Il y a aujourd’hui une série de phénomènes qui nous mettent dans une situation de bord du précipice », insiste-t-il.
« L’Europe a oublié qu’elle était une communauté, en se pensant progressivement comme un marché », souligne également M. Macron, qui s’est récemment opposé à l’ouverture de négociations d’adhésion à l’Union européenne avec la Macédoine du Nord et l’Albanie.
Deuxième danger: les Etats-Unis qui restent « notre grand allié » mais « regardent ailleurs » vers « la Chine et le continent américain », un basculement sous la présidence de Barack Obama, estime le chef de l’Etat. Et « pour la première fois, nous avons un président américain (Donald Trump) qui ne partage pas l’idée du projet européen, et la politique américaine se désaligne de ce projet ».
Enfin, le rééquilibrage du monde va de pair avec l’émergence depuis 15 ans d’une puissance chinoise qui crée un risque de bipolarisation et marginalise clairement l’Europe.
Selon le chef de l’Etat français, si les Européens n’ont « pas un réveil, une prise de conscience de cette situation et une décision de s’en saisir, le risque est grand, à terme, que géopolitiquement nous disparaissions, ou en tous cas que nous ne soyons plus les maîtres de notre destin ».
M. Macron estime par ailleurs que la règle sur le maintien du déficit public des pays de la zone sous la barre des 3% du PIB, tout comme les discussions sur les contributions des 27 au budget de l’UE, relèvent d’un « débat d’un autre siècle ».
« Nous avons besoin de plus d’expansionnisme, de plus d’investissement.
L’Europe ne peut pas être la seule zone à ne pas le faire », martèle-t-il.
Source: AFP