Quelque chose ne semble pas normale en Arabie Saoudite. Bien que le royaume wahhabite ait un avantage technologique, démographique et économique sur le Yémen, il a complètement échoué à briser la Résistance yéménite, dirigée par le mouvement Ansarullah. Le mouvement Ansarullah n’a pas seulement été sur la défensive contre les avancées de l’Arabie Saoudite, mais il s’est aussi attaqué directement à eux malgré le fait que le Royaume contrôle les mers et le ciel.
Le 14 septembre, la Résistance yéménite a attaqué une installation pétrolière de Saudi Aramco, causant des milliards de dollars de dégâts qu’il faudra des mois pour réparer complètement. Cependant, c’est la capture de milliers de soldats saoudiens, dont des officiers de haut rang et des mercenaires, qui a consolidé l’idée que l’Arabie Saoudite connaît sa propre « guerre du Vietnam ».
Bien que l’Arabie Saoudite dispose du cinquième plus gros budget militaire au monde, devant même la Russie, la France et le Royaume-Uni, elle n’a pas réussi à déloger le mouvement Ansarullah du pouvoir. Avec l’Arabie Saoudite qui largue des bombes sans discernement au Yémen, notamment sur les mosquées, les marchés, les écoles, les hôpitaux, les fêtes de mariage et les processions funèbres, le pays est devenu la plus grande crise humanitaire du monde. Même le dirigeant d’Ansarullah Abdul-Malik Badreddin al-Houthi a visiblement perdu beaucoup de poids au cours de la guerre alors que plus de 10 millions de Yéménites sont affamés ou sur le point de mourir de faim.
Le budget de l’Etat saoudien est alimenté par le pétrole et la société Aramco fait partie des six plus grandes sociétés mondiales, avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 350 milliards de dollars récemment, soit environ le PIB du Danemark. Le Yémen est loin de l’Arabie Saoudite dans tous les domaines du développement, mais elle n’a pas encore réussi à déloger le mouvement Ansarullah de la capitale yéménite, Sanaa.
L’Arabie Saoudite a mobilisé environ 150 000 de ses soldats, pour la plupart des mercenaires soudanais, et a utilisé des centaines d’avions à réaction équipés d’armes fournies par les États-Unis pour attaquer le Yémen et son infrastructure en raison de leur défi de ne pas se soumettre aux exigences de Riyad. Les autorités saoudiennes se sont également rendues en mission diplomatique pour inclure le Maroc, les Émirats arabes unis (EAU) et le Soudan dans leur guerre contre le Yémen. Tout cela dans le but de supprimer ce que Riyad croit être une procuration iranienne à sa frontière, une allégation que le mouvement Ansarullah et Téhéran nient.
Ansarullah n’est pas seulement resté passif lorsque la coalition dirigée par les Saoudiens a commencé son agression et a utilisé des roquettes et des drones pour attaquer directement les régions du sud de l’Arabie Saoudite, bien que le Royaume possède le système de défense antimissile Patriot fabriqué par les États-Unis. Bien que l’Arabie Saoudite ait une supériorité aérienne et navale, elle ne peut pas transformer ce contrôle en succès sur le terrain et a plutôt compté sur des mercenaires pour mener sa guerre contre le mouvement Ansarullah.
On n’est pas motivé à mourir inutilement pour l’argent, mais on est prêt à prendre le risque de mourir, deux choses très différentes. C’est pour cette raison que samedi, le Mouvement Ansarullah a capturé plus d’un millier de soldats de la Coalition saoudienne, pour la plupart des soldats de bas rang et des mercenaires soudanais, mais aussi des officiers de haut rang, quand ils ont été encerclés et pris en embuscade. Les mercenaires sont prêts à se battre pour l’argent, mais ne meurent pas en vain, c’est pourquoi ils se sont rendus en masse aux combattants d’Ansarullah.
Eh bien, les comparaisons avec le Vietnam peuvent certainement commencer à être faites maintenant. C’est beaucoup plus profond que l’analogie de David et Goliath, car par tous les moyens, la chance devrait être plus en faveur de Riyad par rapport à celle de Goliath contre David.
L’Arabie Saoudite a utilisé toute son influence politique au sein de la Ligue arabe et du Conseil de coopération du Golfe, investi des milliards dans une guerre coûteuse dans laquelle elle n’avait aucune raison d’intervenir et subi une défaite dramatique. Comment le Mouvement Ansarullah avec des ressources limitées et sur le point de mourir de faim a-t-il pu faire cela ? Riyad a conclu que la seule explication à cet embarras était que l’Iran avait orchestré l’attaque contre Aramco et capturé les milliers de soldats. Cela ressemble à l’époque où les États-Unis refusaient que les Vietnamiens les battent, et attribuaient la victoire vietnamienne directement à l’Union Soviétique et à la Chine, plutôt qu’au peuple vietnamien.
Riyad détournant l’attention du mouvement Ansarullah l’aide à sauver la face car elle peut accréditer les victoires à une puissance régionale rivale anti-US et anti-israélienne, l’Iran. Cela peut donc contribuer à légitimer une intervention US au Yémen, car les relations saoudiennes sont traditionnellement mauvaises pour des raisons théocratiques, géopolitiques et économiques.
Plus important encore, elle peut appâter Washington pour justifier une agression militaire contre l’Iran. Cependant, pour les États-Unis et Israël, la possibilité d’un « conflit par procuration » entre l’Arabie Saoudite et l’Iran serait préférable avec leur intervention limitée. Il s’agit d’une manœuvre risquée, car l’Arabie Saoudite produit environ 15 % du pétrole brut à l’échelle mondiale et peut avoir une influence considérable sur l’économie mondiale.
Bien qu’il soit dans l’intérêt de l’Arabie Saoudite d’éviter de s’enliser dans une guerre sans fin qui épuise ses ressources et sa main-d’œuvre, comme les États-Unis l’ont constaté lors de leur invasion du Vietnam, rien n’indique qu’elle se désengagera de ce qui est le pays arabe le plus pauvre du monde.
Il ne suffit pas de comparer les budgets militaires de l’Arabie Saoudite et/ou des États-Unis avec ceux du Yémen ou de l’Iran pour prédire l’issue finale de ce conflit, car l’Arabie Saoudite apprend à la dure avec les revers qui persistent. Avec plus d’un millier de soldats et de mercenaires capturés, Riyad dispose d’une force de combat sans motivation ni volonté. C’est tout à fait le contraire du mouvement Ansarullah qui croit qu’il est engagé dans une lutte anti-impérialiste.
Si l’Arabie Saoudite veut éviter de nouveaux risques économiques et d’autres embarras militaires, il serait dans son intérêt premier de se désengager au Yémen et d’accepter ses pertes sur ce front dans la rivalité géopolitique saoudienne au sens large. Tout comme les États-Unis ont finalement décidé judicieusement de se retirer du Vietnam après une longue implication de 18 ans qui a fait près de 60 000 morts étatsuniens, Riyad doit maintenant se faire une raison, beaucoup plus vite que la politique de Washington envers le Vietnam, et accepter que la situation au Yémen est intenable et insoutenable.
Par Paul Antonopoulos.
Sources : InfoBrics; traduction Réseau International