Un journaliste saoudien assassiné, un accord nucléaire iranien déchiré par la première puissance mondiale: ces évènements ont, à eux seuls, remis en cause un savant équilibre, fruit d’années de diplomatie au Moyen-Orient, et mis à l’épreuve de vieilles alliances régionales, selon des experts.
Dans le même temps, le président syrien Bachar al-Assad a consolidé sa reconquête du pouvoir près de huit ans après le début de la guerre, et un plan de paix israélo-palestinien promis par Washington n’a toujours pas été dévoilé.
La Russie, active militairement en Syrie pour soutenir M. Assad, a accru son influence au Moyen-Orient, occupant le vide laissé par le retrait partiel des Etats-Unis, estiment des analystes.
Le président américain Donald Trump a soutenu sans réserve le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (« MBS »), un allié régional clé sous le feu de critiques internationales après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat du royaume à Istanbul début octobre.
Ce meurtre, dans des conditions particulièrement atroces, a alimenté un scandale planétaire durant des semaines.
M. Trump a lui souligné l’importance du royaume pétrolier comme acquéreur d’armes américaines et rempart contre l’Iran chiite.
Mais la très forte colère des parlementaires américains à l’égard de Ryad s’est manifestée jeudi avec le vote de deux résolutions par le Sénat demandant l’arrêt du soutien des Etats-Unis à la coalition internationale au Yémen et en pointant du doigt la responsabilité de Mohammed ben Salmane dans le meurtre du journaliste.
Ces deux résolutions distinctes n’iront pas plus loin que le Sénat pour l’instant mais revêtent une forte portée symbolique. Le Congrès à Washington est en mesure de bloquer des ventes militaires ou des projets sensibles avec Ryad.
« Les retombées de l’assassinat pourraient également influer sur la capacité de Trump à poursuivre ses objectifs politiques au Moyen-Orient, notamment pour mettre l’Iran à genoux et imposer un règlement du conflit israélo-palestinien », estime James Dorsey, chercheur à la S. Rajaratnam School of International Studies à Singapour.
« Tope-là » avec Poutine
MBS, qui a cherché à montrer qu’il n’était pas un paria par un « tope-là » enthousiaste avec le président russe Vladimir Poutine au sommet du G20 en Argentine, devrait pouvoir surmonter la crise avec la poigne de fer qu’il exerce sur le pouvoir.
Mais l’affaire Khashoggi « devrait avoir un impact très négatif sur les relations américano-saoudiennes en 2019, indépendamment de ce que l’administration Trump pense pouvoir faire pour l’empêcher », estime Kristian Ulrichsen, chercheur au Baker Institute de l’Université Rice aux Etats-Unis.
Le scandale a eu pour effet de braquer les projecteurs sur la guerre menée par Ryad au Yémen voisin, théâtre de la pire crise humanitaire au monde selon l’ONU, et d’accentuer la pression pour que les Saoudiens acceptent des pourparlers de paix ce mois en Suède entre le pouvoir yéménite qu’ils soutiennent et les rebelles appuyés politiquement par l’Iran.
L’affaire Khashoggi a également donné à la Turquie, alliée au Qatar et bête noire de Ryad, un levier significatif dans les rapports de force régionaux.
Erdogan superstar
Par ses attaques voilées contre MBS, le président turc Recep Tayyip Erdogan a exploité l’assassinat comme une opportunité pour rétablir à son profit l’équilibre du pouvoir au Moyen-Orient, expliquent des analystes.
« Entre l’instabilité dans le Golfe et un jeu à somme nulle entre MBS et Erdogan, le Moyen-Orient risque de devenir encore plus dangereux et instable », dit Sigurd Neubauer, expert du Moyen-Orient basé à Washington.
« Toutes les parties n’ont guère d’autre choix que de se raidir davantage », selon lui.
La Turquie a également réussi à consolider son influence dans le nord syrien voisin après une offensive dans l’enclave d’Afrine puis un accord avec la Russie pour éviter un assaut du régime Assad contre la province d’Idleb, ultime grand bastion des rebelles et jihadistes en Syrie.
Avec le soutien russe et iranien, M. Assad a réussi à reprendre le contrôle de vastes portions du territoire.
« Le gouvernement Assad a connu sa meilleure année depuis 2011 », date du soulèvement contre son régime, a souligné Nicholas Heras, analyste au Center for a New American Security.
« La grande bataille de 2019 portera sur les suites de la guerre. Malgré tous les progrès réalisés en 2018, le pouvoir est toujours dans la ligne de mire d’une stratégie américaine visant à tuer l’économie d’Assad et la stabilité de son Etat ».
« Position agressive contre l’Iran »
Pour Washington, un autre élément clé consiste à faire en sorte que l’Iran ne sorte pas vainqueur du conflit syrien.
En mai, M. Trump a claqué la porte de l’accord sur le nucléaire iranien, fruit en 2015 d’une intense diplomatie internationale menée par la précédente administration Obama et ses alliés européens. Il a rétabli des sanctions qui contribuent à miner l’économie de l’Iran.
« Le changement le plus important et le plus profond en 2018 a été la position agressive des Etats-Unis à l’égard de l’Iran », estime Hussein Ibish, chercheur à l’Arab Gulf States Institute à Washington.
La menace croissante de « l’expansionnisme » iranien au Moyen-Orient a suscité une alliance non déclarée entre Israël et plusieurs Etats arabes avec des visites de hauts responsables israéliens dans le Golfe, notent les observateurs.
M. Trump a promis de conclure « l’accord du siècle » pour résoudre le conflit israélo-palestinien, projet qui serait soutenu secrètement par des pays arabes mais dont le contenu reste mystérieux.
Les Palestiniens sont eux vent debout depuis la décision de Washington de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, et le transfert en mai de l’ambassade américaine dans la Ville Sainte.
Prompt à déchaîner les passions, ce conflit a connu de nouvelles poussées de fièvre, notamment à la frontière de la bande de Gaza, enclave palestinienne sous blocus dirigée par les islamistes du Hamas.
Depuis le 30 mars et le début d’une mobilisation appelée « Marche du retour », au moins 235 Palestiniens ont été tués par les militaires israéliens. Deux soldats israéliens ont péri.
Source: AFP