Le Prince Ben Salman a-t-il mis fin à son isolement et passé le test du G20 avec succès ? Sa position dans la photo collective permet-elle d’en juger ? Pourquoi le Président Poutine est-il sorti du protocole et a embarrassé Trump avec sa chaude poignée de main ? Comment Erdogan va traduire sa colère apparente dans les prochains jours ?
Le G20 était le test le plus important pour le Prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman Ben Abdelaziz car c’était la première fois qu’il se retrouvait dans un sommet international au milieu des dirigeants du monde depuis l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul il y a environ deux mois, dont il a été accusé par certains d’être le commanditaire.
Les avis divergent au sujet de la position du Prince Ben Salman et le regard porté sur lui par les dirigeants. L’agence de presse internationale Reuters a écrit qu’il était isolé et ignoré par la plupart des chefs d’Etat. Ils ont refusé de lui serrer la main durant la photo collective des participants et il a été placé tout à droite du deuxième rang, où il semblait tendu et nerveux.
De son côté, l’Agence France Presse a un avis inverse. Elle l’a considéré comme la « star » du sommet et écrit qu’il n’était pas « exclu » comme certains analystes s’y attendaient. Il a d’ailleurs rencontré 12 chefs d’Etat et le procureur général argentin n’a ouvert aucune enquête suite à la demande de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme dont Human Rights Watch, à cause de son rôle dans l’assassinat de Khashoggi et les crimes de guerre au Yémen. Mohammed Ben Salman a d’ailleurs quitté l’Argentine comme il y est entré.
Justin Trudeau a été le plus audacieux
La plupart des dirigeants qui ont serré la main au Prince Ben Salman l’ont rencontré en coulisses. Nous parlons ici des chefs des grandes nations telles que la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, la Grande-Bretagne, la France, le Canada et le Mexique.
Certains se sont concentrés sur les liens commerciaux, d’autres comme Theresa May lui ont demandé de collaborer avec les enquêteurs turcs dans l’affaire Khashoggi afin que les responsables soient punis de manière transparente, et de soutenir les négociations au Yémen.
Quant à Emmanuel Macron, il est allé encore plus loin en demandant une enquête internationale pour déterminer les coupables et les juger. Une vidéo de la rencontre entre les deux chefs d’Etat montre le Président français reconnaissant son inquiétude et accusant le Prince saoudien de ne pas l’écouter, ce que ce dernier a réfuté.
Justin Trudeau, le Premier Ministre canadien et dont les liens entre son pays et l’Arabie saoudite sont tendus, a été le plus audacieux en ouvrant l’imposant dossier des violations des droits de l’homme en Arabie saoudite et en évoquant à nouveau la question des militants et militantes incarcérés, en plus de l’affaire Khashoggi.
La chaude poignée de main entre le Prince Ben Salman et le Président russe Vladimir Poutine en marge du sommet a fait la une de la plupart des chaînes de télévisions internationales et des médias sociaux. Certains observateurs pensent que le Président Poutine a volontairement exagéré son accueil du Prince saoudien pour provoquer la colère du Président américain Donald Trump, qui a observé la rencontre et les rires entre les deux hommes avec une grande inquiétude. Il était d’autant plus en colère qu’il avait décidé d’éviter toute rencontre officielle avec le Prince héritier saoudien et s’est contenté de plaisanter avec lui en le croisant, d’après un communiqué officiel de la Maison blanche.
Poutine se rendra à Riyad début 2019
Le Président Poutine, avec lequel le Président Trump a annulé une rencontre prévue en marge du sommet à cause de la crise en Ukraine, a répondu avec beaucoup de ruse : il a exploité la situation embarrassante du Prince héritier saoudien et a tenté de l’éloigner partiellement de l’allié américain historique avec cette chaude poignée de main. Il est d’ailleurs parvenu avec lui à un accord pour continuer à baisser la production de pétrole comme cela avait été décidé par les ministres de l’OPEP et de la Russie en Algérie il y a six mois. Les deux hommes ont même décidé que le Président russe se déplacerait à Riyad en début d’année prochaine. Il pourrait être gratifié de contrats commerciaux et de grosses transactions durant cette visite.
Il est certain que le Prince Ben Salman est sorti en grande partie de l’isolement dont il souffre lui et son pays depuis la reconnaissance officielle du meurtre de Khashoggi et le tapage médiatique qui a eu un impact négatif sur son image et celle de l’Arabie saoudite dans le monde, mais le chemin est encore long avant qu’il n’améliore cette image et intègre de manière naturelle la communauté internationale.
Les extraits révélés samedi par le Wall Street Journal, proche du Président Trump, d’un rapport secret de la CIA disant que Ben Salman a envoyé 11 messages à son premier conseiller Saoud Al-Qahtani, qui a constitué et supervisé l’équipe des tueurs, quelques heures avant l’assassinat prouvent sans doute qu’il était informé de l’opération. Il s’agit d’un indice important d’autant que cette même CIA a conclu que le Prince saoudien était le premier responsable de cette opération dans un autre rapport.
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises en ce qui concerne cet assassinat
La colère visible sur le visage du Président turc Erdogan durant son passage à proximité de Ben Salman sur l’estrade de la photo démontre que nous ne sommes pas au bout de nos surprises en ce qui concerne cet assassinat, d’autant que les conseillers du Président Erdogan ont déclaré qu’il avait refusé une demande de rencontre du Prince héritier en marge du sommet et qu’il ne cherchait pas à conclure une transaction pour clore ce dossier.
Nous le répétons encore : les intérêts priment sur les droits de l’homme. Le G20 et les entretiens de 12 chefs d’Etat avec le Prince Ben Salman confirment cette vérité. Pourquoi s’en étonner quand on sait que sa visite en Tunisie, qui n’a pas duré plus de quatre heures, a rapporté aux caisses de l’Etat environ un demi-milliard de dollars ? La colère spontanée de la rue est une chose, les désirs et actes des dirigeants en sont une autre.
L’argent et les aides sont plus puissants que tout et ils constituent les principales armes du Prince saoudien, sans oublier la main de fer avec laquelle il tient son pays. Il s’est rendu à l’autre bout du monde avant de rentrer à Riyad comme s’il était parti à la chasse dans le désert entourant la capitale.
On ne peut ignorer cette réalité, jusqu’à aujourd’hui tout au moins.
Par Abdelbari Atwan: rédacteur en chef du site en ligne arabophone ar-Raï al-Youm.
Sources: Raï Al-Youm; Traduit par Actuarabe