Rien de très surprenant dans le verdict saoudien de l’affaire de l’assassinat du journaliste dissident saoudien Jamal Khashoggi : le prince héritier Mohamad Ben Salmane, le premier suspect dans cet assassinat effectué dans l’enceinte du consulat à Istanbul est entièrement dédouané. En lisant la sentence ce jeudi 15 novembre, le procureur général saoudien adjoint et porte-parole, Shaalan Ben al-Shaalan ne pouvait faire autrement. Il a argué que MBS, n’avait aucune connaissance du dossier.
En tête de ces accusés figure le chef-adjoint des services saoudiens, le général Ahmed al-Assiri. C’est sur lui qu’est adossé toute la responsabilité d’avoir donné l’ordre de ramener de gré ou de force Khashoggi.
Il est suivi par le chef de l’équipe de « négociateurs » dépêché sur place qui a lui, donné l’ordre de le tuer, a-t-il ajouté.
Sur les 21 suspects, le procureur général en a inculpé 11 qui seront déférées devant la justice. La peine capitale a été requise pour cinq d’entre elles, d’après la même source.
Selon l’AFP, M. Shaalan a par ailleurs admis que Jamal Khashoggi, un critique du pouvoir collaborant notamment avec le Washington Post, avait été drogué et démembré au sein même de la mission diplomatique, le 2 octobre.
Les restes de l’éditorialiste –59 ans au moment des faits—auraient été d’après lui remis à un agent à l’extérieur du consulat.
Ryad demande par ailleurs à Ankara de signer un accord « spécial » de coopération sur l’enquête, est-il précisé.
Explications insuffisantes
Or pour la Turquie, les explications saoudiennes sont « insuffisantes » et il faut à tout prix révéler l’identité des vrais commanditaires de l’assassinat.
« Toutes ces mesures sont certes positives, mais elles sont aussi insuffisantes », a déclaré le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu. « Ce meurtre, comme nous l’avons déjà dit, a été planifié à l’avance », a-t-il ajouté, réfutant la version saoudienne selon laquelle les meurtriers de Khashoggi auraient d’abord voulu le ramener dans leur pays.
Le chef de la diplomatie turque a appelé à « révéler les vrais commanditaires » de l’opération.
« Il ne faut pas que cette affaire soit refermée de cette manière », a déclaré M. Cavusoglu. « Nous allons faire tout ce qui est notre pouvoir pour faire la lumière sur tous les aspects de ce meurtre », a-t-il ajouté.
« Ils savent »
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a plusieurs fois affirmé que l’ordre de tuer Khashoggi avait été donné « aux plus hauts niveaux de l’Etat » saoudien.
Selon le numéro un turc, qui a affirmé avoir communiqué aux Américains des enregistrements supposément réalisés au consulat le jour de la mort de Jamal Khashoggi.
« Ils ont écouté les conversations qui ont eu lieu ici. Ils savent », avait assuré le président turc lors d’une conférence de presse télévisée.
Le président turc avait écarté la responsabilité du roi Salmane, mais n’avait pas absous, en revanche, son fils, le prince Mohammed, régulièrement mis en cause par des responsables et des médias turcs.
Disculper les plus hautes sphères
Or du côté des alliés occidentaux de l’Arabie saoudite, malgré le durcissement du ton de leurs dirigeants, la tendance semblait pencher en faveur d’une disculpation des plus hautes sphères du régime saoudien.
Dimanche, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo avait prévenu, dans un entretien téléphonique avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, que Washington allait « demander des comptes à toutes les personnes impliquées dans le meurtre de Jamal Khashoggi ». Il avait estimé que l’Arabie saoudite devait en « faire de même ».
Mêmes les sanctions que les États-Unis se sont empressés d’infliger , à peine le verdict saoudien prononcé, semblent vouloir disculper MBS et faire adosser la responsabilité à des tierces, tout en paraissant affligés par cette affaire.
En effet, sur les 17 Saoudiens qui seront punis sous le coup de la loi «Global Magnitsky Act», une liste de personnes violant, selon les autorités américaines, le droits de l’Homme, le prince héritier ne figure pas.
D’après ces informations, Saoud al-Qahtani, ancien conseiller du prince héritier, et Mohammad al-Otaibi, consul général du royaume en Turquie, figurent sur la liste des personnes visées par les sanctions. La porte-parole du département d’État Heather Nauert avait plus tôt déclaré que Washington prendrait d’autres mesures qu’il jugerait opportunes à l’encontre de Riyad.
Dans le bon sens
La France, qui a été la première à commenter le verdict prononcé par le procureur saoudien opte pour une position similaire à celle de l’administration américaine. Elle a écarté tout sens critique et exclu tout soupçon, en affichant une position acquise à la version saoudien. Selon Paris, l’enquête du procureur général saoudien va « dans le bon sens »
« L’annonce des autorités saoudiennes du déferrement devant la justice des dix-huit personnes arrêtées dans le cadre de l’enquête saoudienne va dans le bon sens », a déclaré la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Agnès von der Mühll.
La semaine passée, la France avait nié avoir consulté les enregistrements cités par M. Erdogan. Son ministre des Affaires étrangères est même allé jusqu’à accuser ce dernier de jouer un jeu politique et de vouloir tirer profit de cette histoire.