La complexité du dossier d’Idleb liée à la multiplicité des ingérences régionales et internationales, aux conflits d’intérêts entre belligérants et à l’escalade des combats atteint une nouvelle dimension en rapport avec les organisations armées sur le terrain ; lesquelles sont en train d’envisager leur intégration à des organisations mieux dotées en moyens militaires et matériels, tel le Front national de libération [Al-jabhat al-watania lil’tahrir] soutenue par la Turquie, le Front al-Nosra et l’Organisation des gardiens de la religion [le Tanzim des Hurras al-Dine] tous deux idéologiquement liés à Al-Qaïda.
Concernant le Front al-Nosra, la Turquie ayant finalement consenti, sous la pression des Russes, à le placer sur sa liste des organisations terroristes, pour une dernière tentative de séparation entre les groupes armés dits « extrémistes » et les groupes qui lui sont alliés, qu’elle qualifie de « modérés », nombre de ses combattants seront amenés à chercher leur salut en rejoignant le Tanzim des Hurras al-Deen [THD] ; une organisation née en février 2018.
Une chronologie qui pousse tout observateur de la situation syrienne à s’interroger sur les raisons et les objectifs de la création de ce deuxième bras armé d’Al-Qaïda en ce dernier quart d’heure de la guerre sur la Syrie.
Questions dont les réponses découlent de l’observation des combats entre les groupes armés sévissant à Idleb qui reflètent, en premier lieu, les intérêts contradictoires des États qui les soutiennent et de la nécessité de créer un substitut au Front al-Nosra par la récupération de ses têtes dirigeantes en cas d’entente sur son élimination.
D’où le rôle joué par la CIA dans l’émergence du THD, lequel s’est déployé dans les zones précédemment envahies par l’organisation des Jound al-Aqsa [Les soldats d’al-Aqsa] notoirement soutenue par les États-Unis -avant qu’ils ne soient obligés de la mettre sur la liste des organisations terroristes- notamment au nord de la province de Hama et dans certaines régions des environs de Sarmine, près de la ville d’Idleb.
À noter que le THD s’est révélé plus généreux que l’organisation des Jound al-Aqsa, offrant des salaires de 200 000 Livres syriennes et que son financement, d’origine obscure, passe par des banques koweïtiennes soumises au contrôle du système bancaire américain.
Il est donc probable que nous assistions prochainement à une activité accrue du THD aux détriments d’autres organisations armées, même si l’entente régionale et internationale concernant l’élimination du Front al-Nosra se révélait symbolique.
À l’appui de cette thèse :
L’exploitation par le THD de sa très grande loyauté envers Al-Qaïda et le recrutement de noms devenus célèbres sur les champs de batailles, pour mieux se vendre sur le marché des financeurs du takfirisme et des souteneurs soucieux de lui rendre sa gloire passée en Syrie.
Parmi ces célébrités :
Abou Hammam al-Chami, surnommé « Abou Hammam al-Askari », lequel a pris le commandement du THD ;
l’ex-commandant militaire du Front al-Nosra, Samir al-Hijazi ;
le Jordanien Iyad Toubas expulsé du sud de la Syrie il y a deux ans et demi, surnommé « Abou Julaybib al-ourdouni » ;
Bilal Khreissate surnommé « Abou Khadija al-ourdini » ; ces deux derniers ayant contribué à attirer le courant salafiste jordanien et d’autres courants salafistes des Pays du Golfe.
En cela, le THD donne l’image qu’il souhaite donner : celle d’une organisation qui a refusé la séparation du Front al-Nosra d’Al-Qaïda, a formé un corps militaire indépendant, a déclaré son allégeance à Al-Qaïda et agit sous sa direction et selon sa doctrine.
Le recrutement du plus grand nombre possible de combattants étrangers et locaux, de telle sorte que le THD pèse lourd dans le nord du pays. En effet, depuis sa création, le THD a rassemblé environ 9 000 combattants [et donc, autant de combattants terroristes à Idleb que de combattants US dans le nord-est de la Syrie ; NdT], chiffre qui devrait tripler et même quadrupler selon les pronostics, grâce à son financement et à sa coordination. Parmi ces recrues, des ex-daechistes qu’il a installés à Idleb, ainsi que des terroristes notoires ayant pris part aux combats en Irak et en Afghanistan où ils ont acquis de grandes compétences dans les combats et, probablement, dans le recueil de renseignements ; compétences susceptibles de renforcer ses liens avec la direction centrale d’Al-Qaïda et d’étendre son réseau relationnel à diverses sections de l’organisation terroriste.
L’exacerbation des tensions militaire et politique à Idleb, certaines sources indiquant que les services du renseignement américains cherchent à réunir tous les extrémistes arabes et étrangers au sein du THD dans le but d’atteindre plusieurs objectifs :
Transporter la majeure partie de ces recrues vers ce qu’ils désignent par « Ard al-Tamkin » [la Terre du Khalifat] en Libye et dans le Sinaï égyptien, pour ensuite les recycler dans de nouvelles batailles.
Exténuer autant que possible l’Armée arabe syrienne dans la bataille à venir d’Idleb, partant du principe que les adhérents au THD sont des extrémistes et des étrangers ayant foi en la doctrine de la mort, non concernés par le processus de réconciliation.
Tirer le tapis sous les pieds des Turcs en sapant leur rôle dans les pourparlers d’Astana et en les privant de la carte du Front al-Nosra, d’une part ; leur tordre le bras en les forçant à se soumettre face au risque d’attaques terroristes menées par le THD à l’intérieur de leur territoire, d’autre part.
Dans ce dernier cas, nous pouvons dire que Washington et Riyad seraient les premiers bénéficiaires.
Il est donc clair que le dernier quart d’heure de ladite crise syrienne verra toutes sortes d’événements dramatiques avec le recours à tous les coups tordus possibles, telles les accusations portant sur l’utilisation d’armes chimiques par l’Armée syrienne comme c’est le cas en ce moment, afin de justifier n’importe quelle probable agression étrangère et tenter de sauver ceux qu’ils peuvent sauver parmi les extrémistes armés, en les évacuant via des « couloirs sécurisés » vers d’autres champs de combats.
Par conséquent, il ne sera probablement pas surprenant de conclure que lorsque Staffan de Mistura – Émissaire spécial de l’ONU en Syrie- réduit le nombre des terroristes présents dans la province d’Idleb à 10 000 [Conseil de sécurité du 7 septembre 2018 ; NdT] et propose de payer de sa personne en s’y rendant lui-même afin d’assurer un couloir de sortie… il tend à servir ce même projet lorsqu’il dit :
« Vous vous souvenez probablement de la période horrible d’Alep, quand les combattants d’al-Nosra ont refusé ma proposition d’accompagner leur sortie de la ville… et ils sont finalement partis pour Idleb. A cause de cela nous avons perdu au moins deux mois et des milliers de personnes sont mortes… Donc une fois de plus, je suis prêt à m’engager personnellement et physiquement. Cette fois avec la coopération du gouvernement [syrien] puisqu’il contrôle les régions alentour. Je suis prêt à assurer un couloir humanitaire temporaire afin que les civils puissent partir, puis rentrer chez eux indemnes lorsque tout sera terminé » .
Par Mohammad Nader al-Oumari : Écrivain et chercheur syrien
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : Al-Watan (Syrie)